Scène 1
ERIPHILE, DORIS
DORISAh ! que me dites-vous ? Quelle étrange manie
Vous peut faire envier le sort d'Iphigénie ?
Dans une heure elle expire. Et jamais, dites-vous,
Vos yeux de son bonheur ne furent plus jaloux.
Qui le croira, Madame ? et quel coeur si farouche...
ERIPHILEJamais rien de plus vrai n'est sorti de ma bouche.
Jamais de tant de soins mon esprit agité
Ne porta plus d'envie à sa félicité.
Favorables périls ! Espérance inutile !
N'as-tu pas vu sa gloire, et le trouble d'Achille ?
J'en ai vu, j'en ai fui les signes trop certains.
Ce héros, si terrible au reste des humains,
Qui ne connaît de pleurs que ceux qu'il fait répandre,
Qui s'endurcit contre eux dès l'âge le plus tendre
Et qui, si l'on nous fait un fidèle discours,
Suça même le sang des lions et des ours,
Pour elle de la crainte a fait l'apprentissage ;
Elle l'a vu pleurer et changer de visage.
Et tu la plains, Doris ! Par combien de malheurs
Ne lui voudrais-je point disputer de tels pleurs ?
Quand je devrais comme elle expirer dans une heure...
Mais que dis-je, expirer ? Ne crois pas qu'elle meure.
Dans un lâche sommeil crois-tu qu'enseveli,
Achille aura pour elle impunément pâli ?
Achille à son malheur saura bien mettre obstacle.
Tu verras que les Dieux n'ont dicté cet oracle
Que pour croître à la fois sa gloire et mon tourment,
Et la rendre plus belle aux yeux de son amant.
Hé quoi ! Ne vois-tu pas tout ce qu'on fait pour elle ?
On supprime des Dieux la sentence mortelle ;
Et quoique le bûcher soit déjà préparé,
Le nom de la victime est encore ignoré.
Tout le camp n'en sait rien. Doris, à ce silence,
Ne reconnais-tu pas un père qui balance ?
Et que fera-t-il donc ? Quel courage endurci
Soutiendrait les assauts qu'on lui prépare ici :
Une mère en fureur, les larmes d'une fille,
Les cris, le désespoir de toute une famille,
Le sang à ces objets facile à s'ébranler,
Achille menaçant, tout prêt à l'accabler ?
Non, te dis-je, les Dieux l'ont en vain condamnée.
Je suis et je serai la seule infortunée.
Ah ! si je m'en croyais...