Étienne Bonnot de Condillac, abbé de Mureau, (1715-1780), est un philosophe français.
BiographieIl entra dans les ordres en 1740 et devint abbé de Mureau. Ayant renoncé au sacerdoce, Condillac se consacra à la réflexion et la philosophie et mena une vie mondaine.
Arrivé à Paris, il fréquenta le salon de Madame de Tencin et rencontra Denis Diderot et Jean-Jacques Rousseau, avec lesquels il se lia d’amitié. Grâce à sa prudence et à sa retenue, les relations de Condillac avec les
Philosophes ne nuirent pas à sa carrière.
Il étudia les métaphysiciens modernes, surtout Locke ; publia, à partir de 1746, plusieurs ouvrages de métaphysique aussi remarquables par la nouveauté des idées que par la clarté du style, qui attirèrent l'attention sur sa doctrine, le
sensualisme.
Il fut admis à l'Académie française en 1768, et reçut en 1777 du gouvernement de Pologne l'honorable mission de rédiger une
Logique classique pour la jeunesse du pays. En 1768, il revint d’Italie et se retira de la vie mondaine, refusant d’éduquer les trois fils du Dauphin, et partit vivre à Flux, une petite propriété qu’il avait achetée près de Beaugency, où il mourut le 3 août 1780.
Son Œuvre Bien que la postérité ne l'ait pas hissé au même rang que d'autres penseurs des Lumières, il s’affirma comme l'un des psychologues les plus pénétrants de son siècle. Avec Voltaire, ce fut le principal introducteur en France des principes de Locke, qu'il développa de façon systématique.
Le style de Condillac est limpide, d'une clarté logique extrême qui peut verser dans la sécheresse. Son analyse de l'esprit humain se fonde entièrement sur l'élaboration progressive des sensations, sans jamais faire appel à un principe spirituel, bien qu'il ait toujours affirmé son orthodoxie religieuse.
- Son premier ouvrage, l’Essai sur l’origine des connaissances humaines, reste très proche des écrits de son maître anglais. Il accepte avec quelques hésitations l’idée de Locke selon laquelle notre connaissance aurait deux sources, la sensation et la réflexion. Le rôle de cette dernière est de combiner les sensations élémentaires en idées. Il emprunte aussi à Locke le principe explicatif de l’association des idées.
- Son ouvrage suivant, le Traité des systèmes, est une critique vigoureuse des théories philosophiques modernes fondées sur des principes abstraits ou des présupposés. Cette polémique, largement inspirée par l’esprit de Locke, est dirigée contre l'idéalisme cartésien, doctrine de René Descartes, la psychologie de Malebranche, le monadisme et l’harmonie préétablie de Leibniz et par-dessus tout, contre la notion de substance établie dans la première partie de l'Éthique de Spinoza.
Le Traité des sensationsSon ouvrage majeur est le
Traité des sensations, dans lequel il s’émancipe du patronage de Locke et aborde la psychologie de sa propre manière, formulant sa doctrine du
sensualisme. Il raconte comment il a été amené à revoir les postulats de Locke : c'est la critique de Mlle Ferrand qui lui fit remettre en question la doctrine du philosophe anglais, selon laquelle les sens nous donnent une connaissance intuitive des objets. En effet, l'œil, par exemple, interprète naturellement la forme, la taille, la distance et la position d'un objet. Sa discussion avec cette femme l’a convaincu qu’il était nécessaire, pour élucider ce genre de problèmes, d'étudier chaque sens séparément, d'attribuer à chacun ce que nous lui devions, d’observer leur développement et la façon dont ils se complètent les uns les autres. Le résultat, selon lui, démontrerait que toutes les facultés et connaissances humaines ne sont que des sensations transformées à l’exclusion de tout autre principe, telle la réflexion.
Condillac imagine d’abord une statue de constitution humaine et animée d’une âme neuve, où aucune sensation ni perception n’a jamais pénétré. Il éveille ensuite progressivement les sens de cette statue, en commençant par l’odorat, le sens qui contribue le moins à la connaissance humaine. Toute la conscience de la statue se réduit alors aux odeurs singulières qu'elle éprouve. La perception par cette statue vivante de telle ou telle odeur s'accompagne nécessairement de plaisir ou de douleur, selon l'axiome lockien de la bipolarité de la conscience. La douleur et le plaisir deviennent ainsi le principe directeur qui va diriger toute les opérations de son esprit. Après cette simple attention aux sensations, naît la mémoire, qui n'est que l’impression persistante de l’expérience d’une odeur : « La mémoire n'est donc qu'une manière de sentir. ». De la mémoire découle la comparaison : la statue expérimente l’odeur, par exemple, d’une rose, tout en se souvenant de celle d’un œillet, « car comparer n'est autre chose que donner en même-temps son attention à deux idées. ». Or, « dès qu' il y a comparaison, il y a jugement. ». La comparaison et le jugement deviennent habituels, ils se développent grâce au tout-puissant principe de l'association des idées. De la comparaison d’expériences passées et présentes et du plaisir ou de la douleur qui leur est attaché, émerge le désir. C’est le désir qui oriente l’usage de nos facultés, qui stimule la mémoire et l’imagination, et qui déclenche les passions. Les passions, elles aussi, ne sont que des sensations transformées.
Ces indications résument le propos général de la première partie du
Traité des sensations. Pour esquisser la suite de l’ouvrage, il suffit de citer les titres des principaux chapitres restants : « D'un homme borné au sens de l'ouïe. », « De l'odorat et de l'ouie réunis. », « Du goût seul, et du goût joint à l'odorat et à l'ouïe. », « D'un homme borné au sens de la vue. », « De la vue avec l'odorat, l'ouïe et le goût. ».
Dans la seconde partie du traité, Condillac ne donne d’abord que le sens du toucher à la statue, ce qui lui fait éprouver l’existence d’objets extérieurs. Dans une analyse très précise, il distingue les différents éléments que l’on rencontre lors de notre expérience tactile : le toucher de notre propre corps, le toucher d’objets extérieurs, l’expérience du mouvement, l’exploration manuelle d'une surface. Il décrit l’élargissement des perceptions des distances et des formes.
La troisième partie traite de la combinaison du toucher et des autres sens.
La quatrième partie traite des désirs, activités et idées d’un homme isolé qui possède tous ses sens. Le traité s'achève par des observations à propos d’un « homme sauvage » qui vivait avec les ours dans une forêt de Lituanie.
La conclusion du traité, c'est que l’ordre naturel des choses prend sa source dans les sensations, que la façon dont les hommes ressentent les choses varie considérablement d'un individu à l’autre, et qu’un homme n’est que ce qu’il a acquis. Toutes les facultés ou idées innées sont rejetées.