L'Élégance ordinaire de nos écrivains est à plus près selon ces termes :
«L'Aurore toute d'or et d'azur, brodée de perles et de rubis, paraissait aux portes de l'Orient ;
les étoiles, éblouies d'une plus vive clarté, laissaient effacer leur blancheur et devenaient peu à peu
de la couleur du ciel ; les bêtes de la quête revenaient aux bois et les hommes à leur travail ; le
silence faisait place au bruit et les ténèbres à la lumière».
Et tout le reste que la vanité des faiseurs de livres fait éclater à la faveur de l'ignorance
publique. Il faut que le discours soit ferme, que le sens soit naturel et facile, le langage exprès et
signifiant ; les afféteries ne sont que mollesse et qu'artifice, qui ne se trouve jamais sans effort et
sans confusion. Ces larcins, qu'on appelle imitation des auteurs anciens, se doivent dire des
ornements qui ne sont point à notre mode. Il faut écrire à la moderne. Démosthène et Virgile n'ont
point écrit en notre temps, et nous ne saurions écrire en leur siècle. Leurs livres, quand ils les firent,
étaient nouveaux, et nous en faisons tous les jours de vieux. L'invocation des Muses à l'exemple de
ce païens est profane pour nous et ridicule. Ronsard, pour la vigueur de l'esprit et la nue
imagination, a mille choses comparables à la magnificence des anciens Grecs et Latins, et a mieux
réussi à leur ressembler qu'alors qu'il les a voulu traduire, et qu'il a pris plaisir à les contrefaire,
comme en ce Cythéréan, Pataréan, par qui le trépied Tymbrean. Il semble qu'il se veuille rendre
inconnu pour paraître docte, et qu'il affecte une fausse réputation de nouveau et hardi écrivain. Dans
ces termes étrangers, il n'est point intelligible pour Français.
Théophile de Viau, Première journée (1623)
In OEuvres Complètes, Champion, Paris, 1999, tome II, p. 9-29.