Le Spleen de Paris, Charles Baudelaire, 1867
Résumé - Le Spleen de Paris
Baudelaire posséda Paris comme peu le firent. La vie du poète s'inscrit tout entière en citadin de la capitale, et la vision qu'il propose de la ville moderne est empreinte d'un sentiment profond d'attachement pour ses lieux et places. Pour nous décrire les foules d'ombres de l'agitation parisienne, Baudelaire nous livre le Spleen de Paris. Ce recueil amasse et brasse nombre de réflexions, reliées par l'unité sous-jacente du lieu. C'est la découverte des gravures de Charles Méryon qui lui inspire ces « rêveries philosophiques d'un flâneur parisien ». Le projet prendra la forme des petits poèmes en prose que nous connaissons.
Le poète est sans aucun doute le témoin le plus averti des ambiances parisiennes de l'époque, pour l'expression si personnelle qu'il nous en livre dans ses écrits. Et le Paris de Baudelaire n'est pas forcément si différent de celui des citadins du XXIème siècle; précurseurs, ses écrits sont les premiers symptômes du trouble des habitants des grandes métropoles de notre siècle, silhouettes anonymes égarés dans une masse de consommation et de capitaux.
Comment s'approprier l'univers parisien de Baudelaire, si ce n'est en s'immisçant dans l'intimité de ses déambulations à travers les rues et boulevards? Il nous faut tout d'abord décrire la relation conflictuelle entre la ville et son poète.
Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas, et cette question de déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon âme.
N'importe où hors du monde. Le Spleen de Paris, 1864.
Baudelaire éprouve pour Paris deux aspirations: une fascination profonde, attractive, séduisante car séductrice, mais aussi une sensation d'étouffement, une éternelle insatisfaction - chère au spleen - qui le porterait volontiers extra-muros quand l'esprit sature des foules et des murmures de la ville moderne.
A plusieurs reprises, Baudelaire s'exila presque de sa ville natale: lorsque, contraint par sa famille à embarquer sur un paquebot il fit un demi-tour du monde, puis, des années plus tard, lors de brèves escapades à Honfleur dans la maison de sa mère. A propos de Honfleur, Baudelaire écrit à sa mère en 1866, juste avant sa mort: » Mon installation à Honfleur a toujours été le plus cher de mes rêves. » Il était alors conscient qu'il lui aurait fallu guérir de ses fantômes urbains. Mais l'emprise de la ville sur l'homme avait été plus forte.
La ville en pleine mutation efface ses repères géographiques, si bien que seuls les repères psycho-géographiques sont encore viables. On reconnaît dans le parcours du poète à travers Paris une sorte de dérive, proche de celle décrite par Debord. Et toute sa vie - bohème ou dandysme - Baudelaire s'est attaché à jouer de cette dérive, au travers des rues d'une capitale décomposée et déshumanisée par sa re-construction.
L'expérience urbaine de Baudelaire se décompose en fragments de visions, de sons et d'impressions. Au-delà de toute réalité, la dérive du poète prend tout son sens dans la découverte d'un imaginaire propre aux sensations mêlées aux ambiances urbaines. Chaque parisien a son microcosme à l'intérieur de la ville elle-même; le Paris réel - comme perçu par ses habitants - est géographiquement étroit. Celui de Baudelaire est encore plus particulier, puisqu'il n'est rattaché à aucun lieu-dit, aucun quartier en substance. Il n'y a pas de maison Baudelaire à visiter, tout juste quelques hôtels mémorables ou une plaque en sa mémoire - rue Hautefeuille, sur le bâtiment qui accueillit ses premiers cris. Et lui-même, le poète, ne cite jamais de lieux, de monuments ou de places; une fois seulement, dans Le Cygne, il évoque le Louvre et le Carrousel.
L'hôtel Pimodan, sur l'île Saint-Louis.
Il faudrait flâner autour de ces quartiers, prendre conscience du lieu, de ses transformations, pour y ressentir l'angoisse d'une ville moderne comme Baudelaire l'a si bien décrite.