Le spectacle de cette passion réveillait chez elle [Mme de Séryeuse] la femme endormie. Elle avait les larmes aux yeux.
Elle embrassa Mahaut. Toutes deux sentirent leurs joues brûlantes et mouillées. Quelque chose de presque théâtral grisait Mme de Séryeuse.
- C'est une sainte, se disait-elle, en face du calme que donnait à Mahaut la certitude d'être aimée.
Mme de Séryeuse s'était précipitée chez les Forbach, comme quelqu'un qui court jusqu'au moment où il se cogne contre un mur. Car devant leur stupéfaction puis devant celle de François, elle fut dégrisée.
L'inconséquence de sa conduite lui apparut enfin.
“ Qu'ai-je à me mêler des affaires de mon fils ? se demandait-elle. Pourquoi courir comme une folle ? ” Plus que quiconque elle devait détester de s'être laissé prendre à sortir de soi.
- Mais, qu'y a-t-il, maman ? interrogea François quand elle entra dans la chambre où il s'habillait.
Devant son fils Mme de Séryeuse retrouva toute sa froideur et, partant, un nouvel ordre de maladresses.
- Je te remercie. Tu me mets dans des situations agréables !
Et cette femme, en qui on ne pouvait reconnaître celle qui une heure auparavant pleurait avec Mahaut d'orgel, tira la lettre de son sac, la tendit à François, avec un visage de glace. Plus rien ne lui semblait respectable d'une aventure trouble où elle se reprochait d'avoir accepté un rôle. Ses promesses à Mahaut lui apparurent sans valeur.
François lisait cette lettre, ne voyait plus ce qu'il lisait. Il tenait dans sa main cette preuve improbable de son bonheur. Il ne pouvait douter que ce fût l'écriture de Mme d'orgel.
Mme de Séryeuse continuait ses reproches. La révélation de son bonheur rendait François imperméable.
Les paroles de sa mère glissaient sur lui sans l'atteindre, sans même qu'il les entendît.
Mme de Séryeuse en voulait à Mahaut de n'avoir pas arrêté son élan, se retournait contre elle, en venant à la soupçonner de mensonge. Dans son injustice elle l'accusa même de s'être servie d'elle pour faire savoir à François qu'il était aimé. François n'était pas loin de ce point de vue, dans son ivresse. Le bonheur lui masquant tout, il ne vit pas une seconde dans quel dessein Mme d'orgel avait écrit cette lettre. Il s'extasiait presque sur l'ingéniosité que donne l'amour.
Après avoir lu et relu cette lettre, François la rangea le plus naturellement du monde dans son portefeuille.
- Et tu l'as vue ? dit François. Qu'avez-vous dit ?
- Je dois avouer, termina Mme de Séryeuse, que je n'ai pas la grandeur d'âme de cette personne. A l'entendre tu es innocent, elle est la seule coupable.
Moi, je considère que tu l'es au moins autant qu'elle.
Tu comprends bien que tu n'as pas l'embarras du choix. Vous ne devez plus vous revoir. A toi de trouver un prétexte convenable envers M. d'orgel, car je n'ai, moi, guère l'habitude de ces sortes d'histoires.
“ Ah ! soupirait Mme de Séryeuse, avec cette prodigieuse injustice des mères, pourquoi fallait-il te brouiller avec tes seuls amis bien ! ”